Le soldat soviétique et le missionnaire
Par Patrick Manificat
Quel danger représentait le soldat soviétique pour le missionnaire ? Le danger le plus important était son manque d’information sur les missions militaires alliées, laissant la porte ouverte à toutes les réactions, violentes ou non, légitimes ou pas. Alors qu’à l’Ouest, les Alliés étaient parvenus à diffuser des instructions très précises sur l’existence des missions soviétiques en RFA, sur leurs droits et sur la protection dont ils bénéficiaient, et ce jusqu’aux plus petits échelons, les Soviétiques furent incapables ou ne jugèrent pas nécessaire de donner des instructions à leurs troupes précisant que l’usage de la force à l’encontre des missionnaires était strictement interdit. D’où se produisit toute une série d’incidents se traduisant par une escalade de la violence et aboutissant à la mort du commandant Nicholson, de
D’autant qu’il existait des différences culturelles et juridiques entre les Soviétiques et les Occidentaux sur les conditions d’ouverture du feu d’une sentinelle en arme.
Un simple panneau « Stoïstrelyiaout »[2] suffisait apparemment pour justifier un tir sans sommations sur les missionnaires comme sur la population allemande. De la même façon, au volant de son camion ou aux commandes de son blindé, le conducteur soviétique obéissait sans état d’âme à son chef de bord lorsqu’il s’agissait de bloquer un véhicule de mission.
En unité constituée, tout dépendait en fait de l’encadrement. Livrés à eux-mêmes, les simples soldats avaient rarement une attitude agressive. Ils contemplaient les missionnaires le plus souvent avec curiosité. Parfois, ils les ont même aidés à se tirer d’affaire en tractant leur voiture ou en leur transférant de l’essence. Enfin, on pouvait aussi observer une tendance assez fréquente, chez les Russes, à la passivité ou à une forme de fatalisme (« advienne que pourra ») qui peut expliquer des comportements aberrants sur le plan de la discipline, comme un pilote de char ou de BMP ivre écrasant des voitures, ou une ivresse générale en service à l’occasion des grandes fêtes (7 novembre, 23 février, 31 décembre), des abandons de poste et des désertions.
En revanche, certaines unités semblaient avoir reçu des consignes très précises vis-à-vis des missionnaires, mais malheureusement pas dans le sens de leur immunité. Leurs chefs les avaient désignés comme des adversaires dès le temps de paix. C’était le cas des brigades d’assaut par air qui pratiquaient « l’Intifada » dès qu’ils apercevaient une voiture de mission, ou des Spetsnatz[3] qui participèrent souvent à des embuscades préparées pour tenter de récupérer les matériels techniques utilisés par les missions. Au début des années 80, sous l’impulsion du nouveau Commandant en chef du GFSA, le général d’armée Zaïtsev, des groupes dits « de prise » ou d’intervention, ont été mis sur pied dans chaque base aérienne, pour intercepter, et si possible saisir, toute voiture de mission en observation de l’activité aérienne, sur renseignement fourni par les suiveurs de
C’est pourquoi les missionnaires, face au comportement aléatoire du soldat soviétique moyen, comprirent vite que leur protection ne reposait que sur eux-mêmes, sur leur professionnalisme et leur capacité d’adaptation, et ils prirent l’habitude de saisir toutes les occasions favorables, y compris celles du calendrier des fêtes, lorsque la vigilance était nettement plus relâchée, pour approcher de plus près les objectifs les plus intéressants.
Patrick Manificat
[1] Dedovchtchina : système de brimades des jeunes recrues par les plus anciens (dedya), toléré par la hiérarchie comme faisant partie de la formation militaire, comme un « bizutage » institutionnel sans contrôle des débordements sadiques ou mafieux qu’il pouvait engendrer. Les cas de suicides et de désertions de jeunes victimes de la dedovchtchina ne sont pas rares.
[2] « Danger de mort » – littéralement : « Halte ou l'on fait feu ». L’écriture en cyrillique ne facilitait pas la compréhension.
[3] Forces spéciales soviétiques.
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