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Le jour où le « Pont des espions » devient le symbole d’un crépuscule !

Par Serge Bayart

 

Il restera dans l’histoire l’un des lieux les plus emblématiques de l’affrontement entre les deux blocs. Mais il aura été aussi le lieu de passage obligé et privilégié des missionnaires durant toute la guerre froide. Or, ce 3 octobre 1990, le Pont de Glienicke, communément appelé le « Pont des espions », désormais ouvert à la circulation, marquera de façon symbolique la réunification officielle des deux Allemagnes et de facto la fin annoncée des 3 missions alliées.

 

Un an après la chute du mur, c’est donc un autre jour historique pour le peuple allemand et également pour nous, même si nous ne le vivions pas de la même façon puisque du même coup notre avenir semblait fortement compromis. Bien que nous nous y étions préparés, nous savions que cette journée serait vécue comme quelque chose de tout à fait unique et exceptionnel. Nous étions partis tôt le matin comme à l’accoutumée pour ce qui devait être la der des ders, la dernière mission officielle de la MMFL après plus de 40 ans d’existence. Circonstance oblige, cette fois nous y allions un peu à la découverte, sans trop savoir comment cette journée allait se passer. Nous nous étions tout de même fixés un plan d’action pour cette sortie de 36 heures, notamment parcourir un maximum de ZIP (Zones Interdites Permanentes) puisque de facto celles-ci n’étaient plus sensées exister. Mais le plus marquant ce jour-là restera sans doute le ressenti en franchissant le mythique Pont de Glienicke, faisant resurgir le souvenir des moments vécus par les générations de missionnaires ayant franchi, tout au long de la guerre froide, ce passage obligé pour accomplir leurs missions derrière le rideau de fer.

 

En approche du pont, la physionomie des lieux a quelque peu changé. Côté ouest, ce qui était encore jusqu’à ce jour le secteur américain, une présence humaine comme il n’y en a jamais eu auparavant, mais guère excessive. On pourrait dire même qu’il règne sur ces lieux, à fort symbole historique, une atmosphère presque normale. Côté ouest, il n’y plus de présence de la « Polizeï » pour empêcher toute tentative d’approche par des touristes poussés par la curiosité. Puis franchissant le pont, côté RDA, ce qui nous frappe immédiatement c’est le changement du décor. Les grilles ont disparu, plus de barrière, plus d’obstacle, la voie est libre. Il ne reste que les deux constructions en dur, l’une en face de l’autre, matérialisant le check-point. Fort logiquement, côté Est-allemand, le poste a été déserté. Auparavant cet endroit ne nous concernait pas, policiers et douaniers assuraient le contrôle de quelques très rares passages de diplomates et autres personnages officiels. En revanche de l’autre côté, en face, un soldat soviétique, non armé cette fois, se tient debout près de la bâtisse et regarde passer notre Mercedes « Guelände », avec une totale indifférence malgré nos plaques d’immatriculation spécifiques et notre véhicule parfaitement identifiables. On a beau s’y attendre, plus qu'inhabituelle la situation nous semble totalement surréaliste !

 

Il faut dire qu’auparavant, symbolisant à lui seul la séparation des deux blocs, cet endroit mythique était l’un des mieux gardé au monde et donc suffisamment dissuasif pour empêcher toute tentative de passage illicite d’un secteur à l’autre. Depuis le début de la guerre froide, au fil des décennies de passages obligés et quotidiens des Missions alliées jusqu’à ce jour, le contrôle par les Soviétiques s’opérait selon un rituel bien établi, méthodique et rigoureux. Les grilles métalliques coulissantes et automatisées, suffisamment espacées et constituant ainsi autant de SAS de sécurité, s’ouvraient et se refermaient successivement au passage de tout véhicule se présentant, avant d’atteindre le poste de contrôle soviétique. Et c’était à ce moment précis, malgré l’opération maintes fois répétée au cours de son séjour, qu’imperceptiblement un sentiment d’oppression gagnait tout missionnaire, même les plus expérimentés. Un membre d’équipage descendait alors et tendait au chef de poste les « Propusk » avant de regagner sans plus tarder son véhicule. Pendant ce laps de temps, le soldat soviétique de faction effectuait un contrôle de routine, inspectant la voiture, ostensiblement scrutateur. Puis il récupérait les « Propusk » auprès de son chef avant de les restituer, non sans avoir préalablement dévisagé chaque occupant à bord, comparant avec insistance photos des laisser-passer et visages respectifs. Après ces quelques minutes qui semblaient toujours une éternité, nous pouvions enfin redémarrer. Il restait encore quelques chicanes à franchir, avant que la sentinelle ne lève l’ultime barrière libérant le passage pour passer à l’Est et entrer dans la ville de Potsdam.

 

Or cette fois plus de barrières, plus de chicanes ! C’est alors que, réalisant subitement que tout ceci appartient désormais au passé, sans vraiment se concerter mutuellement et peut-être simplement par habitude, nous décidons de stopper le véhicule, bien que cette fois ci personne ne nous y oblige ! Nous descendons du 4X4 Mercedes et approchons du poste de contrôle. La sentinelle se fige et semble hésiter sur la conduite à tenir : demander nos « Propusk » - réflexe oblige - ou nous sommer de circuler. Nous ne lui laissons pas le temps de réagir car dans un russe parfait le Lieutenant-colonel Pasquier demande à voir le chef de poste. Le soldat hésite et finalement obtempère en se dirigeant vers le bâtiment. De longues minutes s’écoulent durant lesquelles nous regardons passer au ralenti dans les deux sens quelques véhicules civils. A en juger l’expression sur les visages, les occupants semblent vouloir se demander s’ils ont vraiment le droit de circuler à cet endroit. Ceux venant de Potsdam à bord de leur Trabant ou Lada paraissent néanmoins et paradoxalement un peu plus hardis.  Puis, l’officier soviétique apparait sur le pas de la porte d’accès de son poste de garde et nous scrute d’un air plus interrogateur qu’hostile. Nous le saluons amicalement en lui tendant la main. Il parait surpris. Le chef d’équipage s’exprimant dans sa langue le rassure aussitôt en l’invitant à échanger le pot de l’amitié pour marquer cette journée historique. Cette fois le visage de notre interlocuteur s’éclaire. C’est bien la première fois que je vois un Sov nous sourire ! J’en profite pour retourner à bord de notre véhicule pour y prendre la bouteille de champagne et quelques gobelets que nous avions prévus, à tout hasard. Au même moment un équipage américain arrive sur le pont et comprenant la situation, stoppe leur véhicule derrière le nôtre et nous rejoint aussitôt. L’Adjudant Philippe Malpelat qui était resté à bord, vient nous rejoindre et prend la photo pour immortaliser l’instant.

 

Le 3 octobre 1990.jpeg

 

3 octobre 1990 – de gauche à droite, 2 membres de Usmlm, la sentinelle russe, chef de poste soviétique, Lcl Pasquier, Adc Bayart.

 

Puis sans plus tarder, nous quittons les lieux en nous demandant à quelles autres surprises l’on pouvait s’attendre de l’autre côté. En réalité, ce sera de brèves rencontres fortuites sur le terrain avec des soldats que nous avons pu approcher sans déclencher aucune réaction hostile ni agressivité, au contraire allant même comme sur le pont précédemment accepter de fraterniser.

 

rencontre amicale sur terrain de manoeuvre oct 1990 001.jpg

 

Fraternisation avec les soldats soviétiques

 

rencontre amicale sur terrain de manoeuvre oct 1990 002.jpg

 

Lcl Pasquier

 

 

 

Manifestement, des consignes avaient été données. Puis finalement après deux journées intenses et une toute dernière nuit sur le terrain, après avoir parcouru des endroits que des générations de missionnaires n’avaient jamais explorés auparavant, lorsque nous repassons le pont dans l’autre sens, désormais ouvert à la circulation, les postes de garde sont totalement déserts, les soviétiques ont définitivement disparu. Le mythique ouvrage marquant la frontière entre les deux blocs est soudainement redevenu un pont tout à fait ordinaire. L’Est et l’Ouest désormais ne font plus qu’un, nous venons bien d’entrer dans une nouvelle ère…

 

Serge Bayart

 

Le pont de Glienike libre d-acces 3 oct 1990 001.jpg

3 octobre 1990, le pont de Glienicke libre d’accès

 

 

 

 



02/05/2022
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