Les « rendez-vous » de la Stasi
Les « rendez-vous » de la Stasi
Les « coulots », les « narks » ou les « goons », selon les différentes terminologies françaises ou anglo-saxonnes
Rien, ou peu de choses, de ce que faisaient les Missions alliées échappait à la vigilance des agents de la Stasi et de leurs innombrables collaborateurs. Cependant le contre-espionnage de la RDA n’est jamais parvenu à neutraliser complètement les Missions, du fait même des contraintes imposées par la tutelle soviétique en raison de la réciprocité qui pouvait créer de réelles difficultés aux Missions soviétiques en RFA, homologues des Missions alliées.
Malgré tout, les anciens missionnaires de la MMFL qui s’imaginent encore qu’ils ont toujours réussi à berner les suiveurs et à échapper à leurs observateurs en seront pour leurs frais. Les consignes de sécurité données par les chefs de mission successifs ont été écoutées d’une oreille parfois distraite tant la menace paraissait le plus souvent diffuse (en dehors des reconnaissances à bord de nos VGL) et plutôt romanesque, au sens littéral du terme. Pourtant, la réalité dépassait largement la fiction et la surveillance exercée directement ou par personne ou « équipement opérationnel » interposés était omniprésente, permanente et intrusive. Que ce soit à Berlin-Ouest, à Potsdam ou durant les reconnaissances en RDA, les membres des missions militaires alliées ont été des cibles parfaitement identifiées et maintenues constamment dans la ligne de mire de la Stasi durant des décennies. A la veille de la chute du Mur, ce redoutable organisme pouvait compter sur 91.015 personnels permanents et près de 175.000 « honorables correspondants ». C’est dire qu’il s’était donné les moyens de sa politique : tout savoir sur tout et en particulier sur ces « espions en uniforme » qui ne respectaient ni les règlements, ni le code de la route, ni les zones interdites et qui ne reconnaissaient nullement la souveraineté de
Quand la discrétion devient inutile...
La surveillance des missionnaires s’étendait en premier à leurs lieux de vie dans le Secteur français de Belin-Ouest, que la Stasi avait parfaitement identifiés dans les différentes cités. On peut en juger dans les dossiers saisis après la chute du mur, par le soin et la minutie avec lesquels ces professionnels localisaient les membres de notre Mission et leurs familles à Berlin-Ouest : dans quelles cités, à quelles adresses, avec quels numéros de téléphone, à bord de quelles voitures, avec quels employés, quels voisins, et ils repéraient méticuleusement au voisinage de leurs logements les honorables correspondants potentiels, futurs indicateurs ou IM pour Inoffizielle Mitarbeiter. Ces membres de la Stasi étaient bien sûr des clandestins, bien difficiles à identifier parmi les citoyens de Berlin-Ouest. Si la sécurité était en principe assurée dans l’enceinte du quartier Napoléon abritant toutes les troupes françaises, il n’en était pas de même dans les cités ni a fortiori au cours des communications téléphoniques.
Le deuxième « rendez-vous » obligé avec la Stasi se produisait lors du passage par le pont de Glienicke. Même si les équipages n’étaient contrôlés que par les Soviétiques du poste russe, il y avait juste en face le poste est-allemand armé par des Grenztruppen et toujours un représentant de la Stasi. Ce dernier, bien à l’abri derrière les rideaux tirés du poste rendait compte en temps réel du passage, dans un sens comme dans l’autre, d’un véhicule de Mission et de son équipage. Le responsable est-allemand du Güst (Grenzübergangsstelle), le point de contrôle du pont de Glienicke, a écrit ses mémoires et leur consultation ne laisse rien ignorer des activités de ce poste.
Le troisième « rendez-vous » obligé avait lieu aux villas où passaient systématiquement les équipages avant et après leurs reconnaissances. Le Vopo de garde à l’entrée, chargé de « protéger » les missionnaires, rendait compte à sa hiérarchie des arrivées et départs tandis que les préposés aux postes d’observation que la Stasi avait installés et équipés pour la surveillance des villas des trois Missions à Potsdam, au prétexte fort louable mais fallacieux, « de renforcer non officiellement la sécurité des trois sites des Missions alliées dans le cadre du dispositif de prévention d’actions terroristes ». Les moyens que la direction HA VIII de la Stasi a consacrés à cette tâche n’ont cessé d’augmenter au fil des années : 6 postes d’observation en 1980, 10 en 1983 et 15 en 1987, dont 4 pour la surveillance de la villa USMLM à Neu Fahrland, 6 pour celle de BRIXMIS à la Seestrasse et 5 pour les deux villas contiguës de la MMFL. Les emplacements d’observation Ursula, Farn, Ikarus, Kalle et Frank avaient des vues imprenables sur trois côtés seulement des deux villas françaises. Car les villas étaient adossées au lac Heiliger et le quatrième côté échappait en grande partie aux vues des Inoffizielle Mitarbeiter. En grande partie seulement car, sur les onze employés allemands des villas françaises, cinq étaient des informateurs « IM » dûment répertoriés dont « Lissy », « Gitta », « Jutta » et le couple Haberland.
Le quatrième rendez-vous était seulement auditif et se produisait peu après le départ des villas. Le récepteur d’alerte FUG dont étaient munis les équipages se mettait soudain à couiner. De brefs messages étaient perçus, tous codés : Steht Paula-Paula signifiait que la VGL était repérée à l’arrêt sur un parking. Richtung Hundert voulait dire que l’équipage prenait la direction de Dresde ; 200 signifiait celle de Karl Marx Stadt, 300 celle de Neubrandenburg, 400 de Cottbus, 600 de Halle-Leipzig et 900 de Gera. Anna était l’indicatif de Potsdam, mais aussi Wolke, Joker, Olga… A partir de cette écoute, la filature était enclenchée et il s’agissait pour l’équipage de repérer les suiveurs. Ceux-ci se manifestaient initialement en ville mais sitôt la VGL sur un itinéraire de transit, autoroute ou route principale, les suiveurs ne se lançaient pas à la poursuite de nos puissantes voitures. Celles-ci étaient reprises en compte aux sorties des autoroutes. En revanche, le « Local » n’était pas exempt de poursuites.
Le récepteur d'alerte en haute à gauche ou "mouchard"
Le cinquième rendez-vous survenait lors des reconnaissances ! Celui des « suiveurs », des « coulots », des « narks » ou des « goons », selon les différentes terminologies françaises ou anglo-saxonnes. Ils avaient, au fil des ans, constitué un beau tableau de chasse des missionnaires « photographiés photographiant », car leur savoir-faire était au diapason de l’expérience quasi quotidienne que leur offraient les équipages au cours de leurs « Tours » de jour et de nuit. Tous les missionnaires, aussi expérimentés fussent-ils, ont été victimes un jour ou l’autre de la routine qui fait baisser la vigilance et négliger les règles de sécurité. Ils ont aussi souvent sous-estimé les capacités de l’adversaire. Ce n’est pas parce qu’on ne les voyait pas qu’ils n’étaient pas là ! Pour un observateur, l’humilité est la première des vertus ! Selon les rapports de la Stasi, durant les années 60, les suiveurs sont persuadés que les missionnaires se livrent à des activités clandestines « d’espionnage » et de « subversion » en coopération avec les services secrets au moyen de boîtes à lettres mortes et de contacts clandestins. Par la suite, les suiveurs s’aperçoivent que les activités des Missions relèvent plus des opérations de reconnaissance militaire. Ils se préoccupent alors davantage des techniques des Missions pour échapper à la surveillance ou des violations de zones interdites, que des contacts avec la population, qui s’apparentent plus à de la propagande de la part des missionnaires pour « tenter de gagner la sympathie » de la population qu’à des tentatives de recrutement d’informateurs. Il n’est alors plus question de boîtes à lettres mortes et de liaisons avec des agents secrets.
les chasseurs chassés : 3 voitures 9 "coulots" du côté de Ludwiglust en 1979.
Les suiveurs de la Stasi effectuaient donc pour le compte des Soviétiques les missions de surveillance et de protection des objectifs de la NVA et du GFSA. Officiellement délégués par le KGB-GFSA pour suivre et neutraliser les équipages des missions alliées, ils suivaient les voitures de mission dans tous leurs déplacements, repéraient leurs stationnements et les empêchaient de recueillir des renseignements et de prendre des photos en les harcelant et en bloquant leurs véhicules. Et ils s’y employaient inlassablement. A bord de voitures banalisées, parfois puissantes et occidentales comme des BMW, les suiveurs en civil honnis par les missionnaires maîtrisaient tous les types de filatures. Même si on ne les voyait pas, ils étaient là, tout près, d’autant plus discrets à la radio qu’ils se savaient écoutés. Ils attendaient l’occasion favorable pour intervenir, bloquant eux-mêmes les VGL ou déclenchant un dispositif d’embuscade plus vaste avec des moyens militaires. Patients et très organisés, ils avaient soigneusement reconstitué au fil du temps le savoir-faire comme les habitudes des missionnaires et n’ignoraient pas grand-chose de leurs méthodes et des procédés utilisés en matière de « déception » ou de camouflage. Ennemis résolus des missionnaires, les suiveurs de
Patrick Manificat
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