Opération sauterelles
Opération « SAUTERELLES » et quelques belles prises en tous genres…
Rédacteur : Jacques Suspène
Dans un article précédent, je vous décrivais l’opération « Lance-pierre » et vous expliquais que ma « musette » contenait quelques outils permettant, si nécessaire et si chance, de remplir les estomacs de « Missionnaires » en hypoglycémie. Heureusement les délicieuses « gamelles » préparées par les excellentes cuisinières qu’étaient les épouses des Missionnaires limitaient fortement l’utilisation de mes « outils de survie ». L’article évoquait une RDA très giboyeuse, il en était de même avec la faune aquatique et toutes les petites rivières regorgeaient de poissons. A noter aussi que nous pouvions trouver dans quelques magasins du matériel de pêche qui pouvait satisfaire tout amateur de cette discipline et dans nos missions nous en croisions un certain nombre dans les campagnes avec qui l’on pouvait échanger sur ce sport et cette distraction. Souvent si l’on était loin d’un objectif de la NVA (Armée est-Allemande) les échanges pouvaient porter sur les objectifs soviétiques à proximité et nous récupérions ainsi quelques informations intéressantes. Je me souviens par exemple qu’à proximité de champs de tirs « avions », nous obtenions des détails sur les jours et heures d’utilisation avec une assez grande précision…
Bien souvent les rencontres fortuites nous étaient très utiles
A proximité d’un objectif où nous devions rester des heures en statique, quand nous détections la présence d’un pécheur, nous le gardions discrètement en visuel et toute modification de son attitude était pour nous un indice. Il en était de même avec les agriculteurs ou bergers. C’est d’ailleurs un changement d’attitude d’un berger qui lors d’une mission, avec comme chef d’équipage « Rynko » (brillant pilote de chasse, Chef-Ops puis Chef de Mission) qui nous a évité un blocage en nous permettant la fuite avant que les « Spetsnaz » nous tombent dessus », tout s’est joué en quelques secondes.
Notre fuite a été mouvementée, car pour nous en sortir nous avons dû emprunter une piste à chars peu praticable très ondulée pour notre VGL. Au sommet de chaque sommet de « bosse » c’est le camion «Oural», qui bien involontairement, par un violent choc arrière nous permettait de la franchir. Quand nous avons pu enfin retrouver une route, la puissance de notre Mercédès nous a permis de fuir définitivement, mais avec un coffre raccourci ne fermant plus. A notre retour, vous vous en doutez, notre Chef du garage nous « en passa …une…sévère », malgré notre « innocence ».
Exemple de piste à chars ondulée. Sur cette photo, pour franchir « la bosse », la VGL ne bénéficie pas de la poussette d’un Oural.
Lors d’une autre mission, c’est une information délivrée par un « braconnier », il n’y avait pas que nous qui en étions (à lire dans l’article précédent, « opération lance-pierre »). Celui-ci nous indiqua que les « Rouges » venaient d’installer sur « ses terres » un site radar qui, selon lui, brouillait les émissions TV dans tout son village. Il nous montra même le chemin le plus discret pour aller voir cette installation et en avoir la meilleure vue possible. Vue sa colère, nous eûmes confiance en lui. Nous avons suivi ses confidences et c’est avec une belle surprise que nous avons découvert ce nouveau site radar…non répertorié. En effet son positionnement était tel qu’à partir des centres d’écoutes toutes les « triangulations » tombaient sur des sites existants. Après cette première observation, d’autres prospections furent réalisées pour couvrir en détail ce nouveau site.
Ce n’est pas ce site radar…mais la vue était presque aussi belle et notre surprise magique.
Comme déjà écrit dans de précédents articles, nos mises en place nous faisaient prendre des mesures de sécurité fortes avant d’arriver sur nos points d’observation (PO). Pour le suivi des activités aériennes des aérodromes avant d’atteindre ces PO, nous restions dans des points d’attente (PA) et nous n’en bougions que lorsqu’un indice d’activité était détecté.
Lors d’une prospection de ce type, l’équipage composé de « René », de « Yarro » et de moi-même, nous décidâmes avant d’arriver à notre PA, par une mesure de sécurité supplémentaire, de faire une pause près de l’écluse d’une petite rivière.
Nous venions de faire auparavant une « tournée radars » et notre objectif suivant était la surveillance de ce « terrain soviétique » afin d’en relever l’activité aérienne. Nous voilà à proximité avec une sécurité raisonnable.
Je viens de vous parler de poissons, de rivières, mais avant de poursuivre mon récit, un peu romancé, je voudrais faire un petit clin d’œil à « Loïc » qui nous quitta trop vite et trop jeune. Il fut mon ami et fidèle équipier tant à la mission qu’au sein, durant plusieurs années suivantes, de la « petite unité de Recherche Humaine » succédant à notre « MMFL ». Cette petite unité devint grande de par ses résultats, dans une nouvelle et belle Direction des Armées, comme le cite le Général MANIFICAT dans son livre « Renseignement et Action ». Loïc, durant son séjour à la Mission, lors de ses moments de loisirs, participa activement à l’animation, toujours avec son rire légendaire, du club de pêche de la garnison. Il écuma les eaux berlinoises. Merci à toi notre Loïc de nous avoir initiés « à la pêche en Terre de RDA ».
Revenons à notre opération « Sauterelles »… La VGL, mise à couvert, René avec son éternel réflexe de demi de mêlée, se mit à tourner autour de la voiture comme guettant une sortie de ballon ; puis il s’arrêta, me fit signe de le rejoindre à quelques mètres et pointa du doigt la rivière. Un magnifique spectacle s’offrait à nous, de superbes poissons blancs semblaient nous narguer.
Après quelques dizaines de minutes d’attente, aucun bruit n’émanant du terrain, aucune fréquence n’étant activée…l’attente avant un déplacement vers le PO, s’annonçait longue.
Au sujet de mon demi de mêlée préféré, car nous jouions tous les deux dans l’équipe des Français de Berlin, je lui dois le plus noir de mes coquards…la rancune envers lui m’habite encore et lui en rit toujours. Lors d’un match, jouant deuxième ligne, dans une mêlée, la tête baissée au ras du sol, je reçus un énorme coup de poing dans l’œil droit. Évidemment une fois la mêlée relevée, je cherchais l’ignoble adversaire qui serait soumis à ma vengeance. Heureusement de vrais amis équipiers me dirent « Jacques ne déconne pas ce ne sont pas eux…c’est René…il ne te trouvait pas assez « tranchant ». Vous vous doutez que tout cela se régla au Bar. Mais je gardais autour de mon œil ce signe d’amitié de René durant de nombreux jours. A chacune de nos retrouvailles il me doit une bière. C’est ça l’amitié.
Avec René, sans avoir à échanger une parole, nous pensâmes à mon « équipement de survie » qui comportait un instrument magique, une courte canne à pêche. Une fois sortie, déployée, l’hameçon pendant, restait l’appât. De joyeuses sauterelles gambadaient dans l’herbe autour de nous. Il fut décidé de les offrir à nos beaux poissons. Yaro se porta volontaire pour leur capture, vrai combat qui demande souplesse et réflexe. Mais notre sens de la sécurité ne nous quittait pas, tout comme l’écoute de notre objectif. A tour de rôle l’un d’entre nous était au « Chouf ».
Une fois les appâts, acrobatiquement capturés par notre expert, stockés dans une boite de nos « casse-croûtes », le premier fut accroché à l’hameçon et notre petit moment de détente commença. Incroyable, à peine le leurre à l’eau il fut gobé et un joli poisson fut sorti de l’eau, puis d’autres et d’autres. L’opération « sauterelles » venait de réussir avec grande joie.
Chacun notre tour nous jouâmes durant quelques joyeuses minutes, non pas de la « gâchette » mais de la « canne à pêche ». Puis redevenant sérieux, nous emballâmes nos prises qui seront destinées à « Loïc », tout en espérant qu’un doux bruit émane au plus vite de notre scanner ou d’un réacteur et vienne percuter nos tympans. Mais rien et notre frustration opérationnelle devint de plus en plus grande.
Grand merci à Yaro pour son adresse à la capture, nous étions une équipe soudée
La journée se terminant, nous décidâmes de prendre le cap retour. Après un cheminement discret selon nos procédures, une route puis une autoroute furent rejointes. Mais notre journée d’aventures ne se termina pas là.
L’autoroute prise, cap Berlin, au fil des kilomètres, loin de notre zone de prospection, une odeur de brûlé se fit sentir dans la voiture. Il fut décidé de stopper à la première aire de repos. Le capot fut ouvert et aussitôt des flammes surgirent. Vite un extincteur fut mis en action et le début de feu éteint. Après examen nous découvrîmes que c’était de la paille coincée entre les plaques de blindage qui au contact du pot d’échappement s’était enflammée. Aucun dégât, nous avons eu de la chance. Puis une deuxième chance va s’offrir à nous…
Nous entendons au loin des bruits de réacteurs. Ils sont importants et se rapprochent, mais la végétation importante du parking nous empêche d’avoir une vue dégagée. Par réflexe, nous nous armons de nos appareils photos et jumelles. Et bien nous en prend… A notre verticale déboulent, à basse altitude des SU 17 (Fitter) armés de roquettes de 240mm avec des têtes de couleur blanche et de formes « suppositoires »… Nos appareils photos crépitent.
Nous estimons, vue la couleur de leurs numéros, d’où ils viennent et vu le cap suivi, qu’ils doivent se diriger sur le grand champ de tir air-sol de Gadow-Rossow ; cependant nous ne sommes pas dans la zone de recherche allouée à la MMFL. Nous sommes conscients et particulièrement heureux d’avoir eu cette grande et belle opportunité.
La route retour se poursuit calmement, nos odorats à l’aguet afin de détecter de nouveau toute odeur suspecte. Tout est OK. Par sécurité nous faisons une halte à la villa puis après toutes les procédures ad ’hoc, retour à la maison, heureux de cette journée. Merci à mes deux camarades.
Nous apprenons peu de temps après qu’il s’agissait de roquettes à tête FAE (Fuel Air explosive) observées pour la 1ère fois en RDA.
Vive les sauterelles ! Sans elles, nous n’aurions pas eu cette observation ; comme quoi, la chance sourit aux innocents …. (ça, c’est nous).
Comme tous nos camarades « Missionnaires », nous avions toujours la volonté et l’espoir de réussir « la plus belle des pêches » en tous genres... Cela parfois berçait nos rêves. Je suis certain que tous, nous pensons très souvent à ce fabuleux temps de la MMFL qui nous a marqués à jamais. Nos retrouvailles sont à chaque occasion, des moments intenses de camaraderie et de rappels où chaque mission devient la plus glorieuse des pêches.
Je suis heureux de pouvoir, grâce à notre Blog, partager ces souvenirs avec vous ….
Bonne lecture.
Jacques Suspène.
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