Soirée électorale à ERFURT…et...Face aux « Mata Hari » de l’Est…
Rédacteur : Jacques Suspène.
Epilogue aux articles, épisodes 1 et 2 : « Un arsenal de propagande en RDA ».
Dans son commentaire de l’article « Un arsenal de propagande ; épisode 2 », le Colonel Henri JEANNEQUIN, brillant historien et ancien Chef d’équipage de la MMFL, me corrigeait et apportait une précision intéressante
« Il est incorrect de parler de parti unique en RDA si, en pratique c’est une réalité, sont demeurés un parti-chrétien-démocrate, un parti libéral, un parti paysan et même un parti national. Pour les élections « on » forme une coalition (chaque parti étant représenté dans un mélange bien dosé) qui se présente sous la dénomination de Front national (sic) qui présente une liste dans chaque circonscription. La composition de l’Assemblée est donc connue a priori…
Je me souviens qu’à Potsdam un immeuble de la rue Klément Gottwald (je crois…) portait une plaque à l’extérieur de sa porte d’entrée indiquant la présence d’un bureau du parti chrétien-démocrate…
Durant mon séjour eut lieu une élection pour la chambre du peuple avec une campagne dont des observateurs de la MMFL (avec son chef le Colonel ROHE) virent un exemplaire à ERFURT, la veille du scrutin, avec défilé nocturne de jeunes avec des torches et des musiques de quoi rappeler ce qui existait dans l’avant-guerre avec le cérémonial nazi ».
Merci à Henri de me rappeler cet épisode des années 1970/1971, car j’ai eu la chance de participer à cette mission avec le Colonel ROHE et « JOJO », mon « mentor et formidable instructeur ». Le Colonel ROHE (qui passa Général à l’issue de son séjour) était un brillant linguiste, notamment allemand et russe. Il était aussi féru d’histoire.
Le 19 mars 1970, le Chancelier Ouest-Allemand Willy BRANDT lors d’un déplacement en RDA avait prononcé un discours mettant en lumière les difficultés de la normalisation des relations entre les deux Allemagnes. Il y déclara notamment « que ce jour pouvait être un jour important pour tous les Allemands de la République Fédérale aussi bien que pour les habitants de la RDA ».
Note de presse : « Le 19 mars 1970, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt et le président du Conseil des ministres est-allemand Willy Stoph se rencontrent à Erfurt. Il s'agit de la première réunion du genre depuis la division de l'Allemagne. Willy Brandt est acclamé par la foule à la fenêtre de son hôtel face à la gare, au grand dam de ses hôtes ».
En 1971, la population d’ERFURT, estimée comme relativement jeune et intellectuelle, était à la veille d’une élection. En effet le 14 novembre 1971 il s'agissait de renouveler la totalité des membres de la Chambre du peuple qui, élus en 1967, étaient arrivés au terme normal de leur mandat.
Comme l’indiquait Henri, les partis suivants de présentaient aux électeurs : Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED), Parti libéral démocrate allemand (LDPD), Union démocrate-chrétienne (CDU), Parti national démocrate allemand (NDPD), Parti démocrate paysan allemand (DBD), Confédération des syndicats libres allemands (FDGB), Jeunesse libre allemande (FDJ), Union démocratique des femmes allemandes (DFD), Ligue allemande de la culture (DKB). Mais en fait tout cela se déroulait selon « un dosage » bien connu.
Année 1971 et suivantes bascule entre Walter ULBRICHT et Erich HONECKER
Pour notre Chef de Mission, cet événement était une intéressante opportunité de déclencher « une mission d’ambiance » dans cette ville. Il décida donc de se rendre à ERFURT. Avec Jojo je fus choisi pour faire partie de l’équipage.
Il fut aussi décidé, comme habituellement, lors de la présence du Chef de Mission à bord, de réaliser le long du trajet l’observation de quelques objectifs « non à hauts risques ». Notre mission étant principalement axée sur du renseignement d’ambiance nous partîmes seulement avec une partie de nos équipements opérationnels.
A peine éloignés de Postdam, partant au cap Nord pour faire diversion, nous fûmes très vite pris en compte par des véhicules banalisés de la STASI locale. Puis, à notre surprise, d’autres voitures « suiveuses » sortant des classiques véhicules de la STASI de la zone de Postdam, Wartburg, Volga, Lada et autres vinrent renforcer la « meute ». Là nous avions à nos trousses de puissantes BMW et Volvo toutes immatriculées Berlin-Est. Cela nous intrigua.
Ces véhicules « particuliers » lâchèrent la filature après que nous nous soyons éloignés de Potsdam par de petites routes et filant au cap Nord. Puis, également par des petites routes nous prîmes le cap Sud, en direction de nos premiers objectifs dans la zone sud-est de la RDA.
Bien évidemment après quelques heures nous fûmes repris « en compte » de façon classique par des voitures banalisées de la Stasi et le jeu du chat et de la souris reprit. Cependant cette filature intense dans cette zone sortait de l’ordinaire et la décision fut prise par le Chef d’abandonner la partie « opérationnelle » pure de notre sortie. Nous engageâmes alors directement un cheminement vers Erfurt.
Plus nous nous en approchions plus nous sentions une « nervosité » montante chez nos suiveurs. Notre route nous imposait la reprise d’autoroutes et très vite nous vîmes réapparaitre, à très vive allure nos « suiveurs berlinois ». Et là, ils ne nous lâchèrent plus. « Jojo » nous fit effectuer de belles tentatives « d’évasion », mais rien n’y fit. Le point positif de nos manœuvres fut que nous arrivâmes à décompter 16 véhicules suiveurs de grosse cylindrée, toutes immatriculées à Berlin-Est. Le Colonel ROHE en était heureux car cela signifiait qu’ERFURT devenait, en cette période d’élection zone « sensible » et que notre présence pour le moins « intriguait » sinon « inquiétait et dérangeait ».
Nous nous rendîmes aussitôt à l’Hôtel où après maints palabres notre Chef, parfait linguiste russe et allemand obtint deux chambres en usant principalement et de façon autoritaire de la langue Russe. Devant son « Propousk » en cyrillique, les réceptionnistes s’exécutèrent. Il réserva aussi une table pour le diner. Après une courte visite dans nos chambres « spécialement réservées aux touristes »….et un bonjour notamment aux …micros nous nous fondîmes dans la foule.
Nous déambulâmes en ville, avec derrière nous, une escouade pédestre de « suiveurs » aussi « collante » que celle « motorisée ».
Beaucoup de monde était dans les rues avec différents drapeaux de groupements, d’associations et autres avec tout autant de pancartes en l’honneur du parti « SED » qu’avec des slogans anti-OTAN et condamnant avec virulence l’impérialisme occidental.
Notre Chef dont la prestance en imposait n’hésitait pas, sereinement, à entamer de très nombreux dialogues avec des gens au grand dam de notre « faune » de suiveurs. La nuit tombante, des torches apparurent et la foule se préparait manifestement à défiler. Pour notre sécurité et l’heure tournant le Col ROHE décida alors de notre retour à l’hôtel pour diner. D’abord installé en fond de salle du restaurant, il exigea fermement une table près des fenêtres donnant dans la rue principale. J’étais admiratif du sens tactique de notre Chef. Ainsi positionnés, nous avions un super point d’observation sur l’avenue.
Nous étions ainsi aux premières loges d’un surprenant spectacle et assistions comme l’écrivait Henri dans son commentaire « à un défilé nocturne d’une population dense avec des torches et des musiques, de quoi rappeler ce qui existait dans l’avant-guerre avec le cérémonial nazi…. ». C’était exactement cela et de derrière les vitres nous trouvions cela, au minimum, impressionnant. Et l’on pouvait se douter qu’une foule ainsi exaltée, aussi bien encadrée et galvanisée pourrait être capable de tout. Le Chef avait vu juste.
Nous remarquâmes qu’une table venait d’être dressée à proximité de la nôtre. Le Colonel, avec un large sourire nous prédit qu’il ne serait pas surprenant que de « belles dames » viennent l’occuper. Nous remarquâmes également que trois ou quatre de nos suiveurs berlinois venaient de s’installer dans le restaurant en fond de salle.
Une trentaine de minutes plus tard ce que le Colonel avait prédit prédit….arriva. Quatre jolies dames vinrent s’installer à la fameuse table proche de la nôtre. Et, de leur part, un festival d’œillades commença. Notre Chef, observant méticuleusement les événements de la rue, nous demanda d’entrer (modérément) dans le jeu de ces dames. A l’extérieur, la rue était très animée et bondée. Chaque participant avait une torche, hurlant des slogans et chantant à la gloire du socialisme. Notre Chef prenait de nombreuses notes et enregistrait ce qui se déroulait dans la rue et restait impassible aux jeux et spectacle de ces Dames. Il nous dit combien il était très satisfait de la moisson de notre mission.
Quant à Jojo et moi, nous ne nous savions pas aussi attrayants pour la gent féminine. Ces quatre dames nous le faisaient savoir et durant toute notre présence à table elles ne cessèrent de tenter de nous accrocher du regard. Même la salle s’en amusait. Puis après être restés à table jusqu’à la fin du cortège, nous levâmes le camp. Très sérieusement notre Chef nous demanda d’être extrêmement prudents et très vigilants et de bien verrouiller nos portes de chambres car la STASI était capable de toutes les provocations.
(Nota : Dans l’épisode 1 de l’article « Epaule contre Epaule » de mars 2024, je décrivais un incident grave arrivé à un équipage d’USMLM où en pleine nuit la STASI força la porte de la chambre de leur Hôtel de Karl-Marx-Stadt et saisirent toutes leurs affaires et équipements).
Nous rejoignîmes donc nos deux chambres attenantes. Avec Jojo, nous inspectâmes méticuleusement la nôtre ; puis non seulement nous verrouillâmes consciencieusement porte et fenêtre mais nous les entravèrent fermement.
A peine trente minutes plus tard, on vint frapper à notre porte, et tant en allemand qu’en russe on nous demanda d’ouvrir puis d’aller prendre un verre au « Tanz-bar » de l’hôtel. Ces « agressions verbales » se terminèrent après plusieurs dizaines de minutes. Enfin nous allions être tranquilles. Et bien non, cette fois-ci ce fut le téléphone qui n’arrêta pas de sonner. Nous décrochâmes plusieurs fois sans répondre aux voix suaves, puis afin de dormir, le téléphone fut débranché. Notre Chef qui occupait la chambre voisine, lui ne fut pas harcelé mais nous remercia en souriant, lors du petit-déjeuner, d’avoir débranché le téléphone. Il nous fit raconter nos tentatives subies « d’agressions ». Nous restions toutefois surpris de cette manœuvre « d’approche » si agressive, si persistante mais aussi si « primaire », nous en étions même vexés.
A l’issue du petit-déjeuner nous reprîmes la route et sitôt démarrés, la cohorte des voitures suiveuses nous colla, y compris avec les grosses cylindrés berlinoises. Notre Chef décida, par sécurité, de nous faire prendre directement la route du retour. Jojo, cependant avec son aval, se fit un plaisir de nous faire réaliser quelques « évasives » afin de photographier le maximum de suiveurs ce qui sembla leur déplaire au plus haut point. Ils prirent quelques distances de nous. Mais nous étions persévérants et à notre retour un beau « trombinoscope » fut réalisé et communiqué à nos services ad’hoc.
Notre passage du « Pont des espions » se déroula sans encombre et il nous restait à faire le CR de cette « sortie ».
Commentaires :
Je venais de vivre, avec le Colonel ROHE et Jojo, une aventure pittoresque, loin de nos sorties opérationnelles habituelles, mais très intéressantes et instructives. Ces missions « dites d’ambiance » réservaient bien souvent des surprises en fonction des différents secteurs de la RDA. Bien que parfois fastidieuses, elles faisaient partie intégrante de notre travail de recherche et dans tous les domaines nous enrichissions nos connaissances.
Cette tentative d’approche « féminine » si primaire menée probablement par la STASI locale et l’aval, voire la complicité de l’antenne KGB locale, n’était pas à sous-estimer car il est certain que ce type de « pièges » peut parfois hélas fonctionner. Beaucoup, malheureusement, de toutes contrées, y ont succombé avec de graves conséquences.
Cette mission réalisée au début de mon affectation m’a beaucoup appris dans bien des domaines et ce fut pour moi l’occasion de découvrir sur le terrain deux grands maîtres du Renseignement Humain, mon mentor « Jojo » et le Colonel ROHE un vrai Seigneur. Merci à eux.
Puis, avec « Jojo » je connus bien d’autres aventures…peut-être « à bientôt »..
Der Erfurter Hof
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