Tassin et Pithiviers …
Par Frédéric Oros
De tous les souvenirs de mon séjour à la MMFL, certains évoqueront bien sûr une ambiance, le mode de vie « à l’Est », les odeurs oppressantes de lignite et de l’essence russe, les Est-Allemands vêtus de manière un peu désuète, les Trabant pétaradantes, et surtout les montées d’adrénaline dès que nous approchions d’un objectif, d’un aérodrome ou d’un convoi militaire soviétique. Mais aussi parfois des situations assez drôles comme celle qui suit, et dont le titre parlera certainement aux amateurs de cinéma.
Par une belle matinée d’avril 1987, le printemps montre le bout de son nez et nous avons quitté Potsdam en direction du sud, mon chef d’équipage est l’adjudant-chef Bernard R. Après avoir effectué la tournée habituelle des gares de Michendorf, Neuseddin et son impressionnant triage, nous nous retrouvons près du village de Beelitz sur la « 2 ». La route principale numéro 2 relie Berlin à Leipzig tout en longeant la ZIP de Jüteborg en direction du sud-ouest. Nous filons bon train quand soudain devant nous se profile un convoi militaire soviétique. C’est une unité des transmissions, comme en atteste le nombre de Gaz-66 et Zil-131 carrossés. Il y a une vingtaine de véhicules approximativement. Assez vite je rattrape le dernier camion, c’est un Gaz-66 bâché de la ваи (военная автоинспекция), la police militaire de la route. Nous le suivons durant quelques minutes mais j’ai un mauvais pressentiment, généralement les personnels de la ваи (prononcer vaÏ) ne sont pas réputés pour leur sens de l’humour …
Gaz-66 ваи
Mais il va bien falloir le décompter ce convoi, et tout d’abord réticent, l’adjudant-chef R. me dit : bon, on n’a pas trop le choix, tu le doubles, mais fais gaffe …
A l’approche de la bourgade de Treuenbrietzen, il y a une très longue ligne droite de plusieurs kilomètres bordée d’arbres mais, bien que nous soyons sur un axe principal, de nombreux secteurs sont pavés, souvent inégaux et toujours très glissants.
Energiquement, je déboite sur la gauche, pied au plancher je commence à doubler tout le convoi. L’adjudant-chef R. a déclenché son dictaphone et énonce à vive allure les noms des véhicules ainsi que leurs numéros d’immatriculation. Le Nikon crépite, quand soudain, j’aperçois dans le rétroviseur, gyrophare et sirène hurlante, le Gaz-66 de la ваи qui nous a pris en chasse. Le conducteur dans un premier temps, a certainement été surpris par ma manœuvre de dépassement, mais il a décidé de tenter de nous bloquer. Je vois dans le rétro le chef de bord qui s’égosille dans son micro … Il tente de prévenir l’un des véhicules de l’avant de la colonne. En effet, si l’un d’entre eux se déporte sur la gauche de la route, nous sommes cuits !
J’accélère de plus belle car dans le rétroviseur, je vois nettement le parechoc menaçant du shishiga (шишига)* qui est maintenant à moins de deux mètres de la VGL. Le Gaz-66, doté d’un moteur V8 de plus de 4L de cylindrée, est un engin particulièrement véloce et soutient sans problème les 120km/h sur route. Heureusement pour nous, aucun véhicule de la colonne n’a réagi et je dépasse l’UAZ 469 de tête certainement à plus de 130 à l’heure. Les transmetteurs n’étaient certainement pas à l’écoute de la bonne fréquence radio …
… dans le rétroviseur, je vois nettement le parechoc menaçant qui est maintenant à moins de deux mètres de la VGL…
Notre poursuivant lui ne lâche rien, il est toujours derrière, bien que commençant à être distancé par les chevaux de la Mercedes. C’est alors que je perçois un bruit sourd à l’arrière, rapidement suivi d’un « flop-flop » caractéristique.
- Mon adjudant-chef, on a un problème !
- T’occupe ! fonce, il faut les semer …
La VGL commence à se dandiner de l’arrière et le bruit devient de plus en plus fort. Nous sommes maintenant à l’entrée de Treuenbrietzen et traversons en trombe le rondpoint du centre dans un bruit de casserole.
- Sur la droite à cent mètres, l’entrée avec un portail en fer forgé, tu la prends !
Sans réfléchir, feux arrières coupés, debout sur les freins, je tourne à droite et m’engage sur le chemin d’entrée du … cimetière ! Je stoppe la voiture entre deux pierres tombales. Nos poursuivants distancés ne nous ont pas vus tourner.
Sans se soucier du côté cocasse de la situation, l’adjudant-chef R. se dirigeât rapidement vers le mur d’enceinte et muni de son appareil photo, debout sur un caveau, assura la couverture de tout le convoi qui maintenant passait devant lui comme à la parade.
Pendant ce temps j’avais pris la mesure des dégâts sur la voiture, le pneu arrière gauche s’était déchiré sur un pavé tranchant et les deux ou trois kilomètres effectués à vive allure en avaient eu raison, il n’en restait presque rien, et la jante ne pourrait plus servir que de pied de parasol …
Le temps de changer la roue, il était pratiquement midi. Le soleil faisant une apparition, nous avons décidé de sortir les « gamelles » et de casser la croûte. Ainsi, à l’instar des soldats Tassin et Pithiviers (Jean Lefebvre et Aldo Maccione) dans une scène célèbre du film de Robert Lamoureux « Mais où est donc passée la 7e compagnie ?», nous avons pris notre repas en profitant du soleil et de la quiétude du lieu, assis sur les pierres tombales, entre les croix et les fleurs en plastique …
Chaque fois que je revois ce film, je ne pense pas au bois de Machecoul, mais bien au cimetière de Treuenbrietzen …
Frédéric Oros
* шишига (shishiga) : shishiga dans les croyances populaires russes c’est l'esprit forestier, sous la forme d'une femme qui vit dans un marais et attire les hommes dans des endroits infranchissables, d’où ce surnom donné au Gaz-66, réputé pour ses qualités de franchissement en tout-terrain.
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Le camion radio tactique R-142 sur châssis Gaz-66
Intérieur d’un Gaz-66 radio R-142
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