La participation du 13e RDP aux missions de la MMFL
Texte figurant dans le livre "De la cavalerie aux forces spéciales" relatant l’histoire du 13ème RDP paru en 2015 aux Editions Pierre de Taillac.
Par Serge Bayart
Insigne du 13e Régiment de Dragons Parachutistes
La participation du 13 aux missions de la MMFL
La Mission Militaire Française de Liaison près le Haut commandement soviétique en Allemagne de l’Est (MMFL) a été créée lors des accords bipartites de Potsdam en 1947 dans le but de faciliter les communications entre les différents commandants en chef.
Très rapidement les Missions alliées britannique américaine et française les utilisèrent et ont coopéré pour recueillir du renseignement sur les forces en présence derrière le « Rideau de fer ». Ainsi, interarmes et interarmées, la MMFL, composée de quelques dizaines de cadres de l’armée de terre et l’armée de l’Air était quasiment inconnue à l’exception de quelques spécialistes exploitants du renseignement basés à Baden et Paris.
Pourtant le 13 a eu une implication directe avec cette unité. Pendant presque vingt ans, à l’initiative des premiers cadres du 13 affectés à la MMFL, des « sergents » (et maréchaux des logis), équipiers de recherche du régiment sont détachés pour des missions de 4 mois comme conducteur. Très fréquemment sur le terrain, dans des situations de stress parfois très tendues, ces missions étaient particulièrement éprouvantes mais ce renfort s’est avéré très salutaire.
Elle a permis à ces ACE (Adjoint chef d’équipe) de l’époque d’observer en réel ce qu’ils ne voyaient qu’en noir et blanc sur l’écran d’une salle obscure ou au fond de leur cache sur des bandes de photos à la bien souvent médiocre définition…
Histoire d’une mission derrière le rideau de fer avec un « équipage du 13éme RDP » : Adjudant-chef Bayart affecté à la MMFL (1983-1987) comme observateur et Sergent Masson détaché durant 4 mois en renfort comme conducteur.
Parmi les missions confiées aux Missions alliées : Brixmis, USLM et la MMFL l’une d’elles revêtait une importance capitale. Le « Local » consistait à assurer une surveillance permanente couverte 24h/24 dans un rayon de 50 km autour de Berlin L’objectif étant de pouvoir déceler d’éventuels indices d’alerte d’une attaque éminente du PAVA. Les équipages des trois missions alliées prenaient le relais à tour de rôle pour une durée de 24 heures.
Un soir de mars 1986 nous prenons la relève des britanniques vers 15 heures. Le Sergent Masson est le conducteur fraichement arrivé de Dieuze, à bord de notre VGL (Mercedes berline 280) nous venons de couvrir quasiment toute la zone du nord au sud et d’est en ouest à la recherche de convois soviétiques en déplacement, observant au passage les objectifs (casernes, dépôts, sites, toutes installations militaires soviétiques et NVA (Armée Est-allemande)) à partir de PO (point d’observation) reconnus. Mon magnéto d’enregistrement a été peu utilisé et le NIKON n’est quasiment pas sorti de ma sacoche mission. Le bilan est mince mais, après tout, pas de renseignement à apporter signifie que la situation est normale. Nous avons contrôlé toutes les gares, les quais de débarquement (ou d’embarquement) sont déserts. En fin de soirée, nous arrivons à celle de Michendorf située au nord de Potsdam. Traversant les rues désertes du village, notre VGL arrive sur le pont surplombant la gare faiblement éclairée. Observé au passage au milieu des nombreuses voies, pas de doute cette fois, un train militaire est stationné au milieu des voies. Il faut aller vérifier de plus près. Nous accélérons aussitôt pour emprunter, tous feux éteints, au milieu des bois un itinéraire menant au PO situé en bordure des voies. Il s’agit bien d’un train soviétique. On distingue plusieurs plateaux bâchés sur toute la longueur. Et quelques « wagons M » (M comme militaire) au-dessus desquels s’élève une fumée noire trahissant la présence de personnels. Ces wagons étant équipés de poêles à charbon. Visiblement le bâchage sur les plateaux et sur toute la longueur correspond à du matériel lourd en import. L’excitation grandit. Je ne reconnais pas cette forme. S’agirait-il donc des SS21 que nous attendons en vain depuis plusieurs semaines déjà ? C’est l’orientation majeure du moment. Ce serait une « première » ainsi nommée pour toute nouvelle observation Les scoops sont plutôt rares faisant généralement date et la fierté des équipages. Pour cela, il faut en apporter la preuve par photo. Il faut agir vite, le train peut repartir d’un instant à l’autre. L’objectif de 1000 m/m est fixé sur le Nikon. Le film Iford en noir et blanc à l’intérieur est poussé à 6400 iso, puis appuyé sur le toit de la VGL je prends plusieurs clichés. C’est dans la boite ! Reste à attendre que le train fasse mouvement. L’attente est longue. Je prends le risque de m’approcher pour tenter de voir sous une bâche. Franchissant les voies sous les wagons pour ne pas être repéré, il me reste quelques mètres à franchir lorsqu’un « Trappo » (employé est-allemand des chemins de fer) passe à quelques centimètres sans me voir. Poursuivre la progression serait trop risqué. En cas d’alerte les sentinelles soviétiques peuvent tirer à vue sans sommation, surtout s’il s’agit de matériels sensibles. De retour au PO, Masson qui observait à la jumelle me confirme que des sentinelles armées font les cents pas le long du train.
L’adjudant Serge Bayart sur un PO en 1984
Soudain le train part. Il faut le suivre et tenter de découvrir sa destination. Le moteur de la Mercedes rugit, le chauffeur exulte, il se passe enfin quelque chose d’excitant. Il nous faut aller vite et tenter de l’intercepter sur des points de passages obligés. Mais s’il s’agissait vraiment des SS 21 ? Dans ce cas le débarquement peut avoir lieu dans l’une des deux gares. Trop tard pour Dalgow, nous irons donc à Satzkorn ! La traversée de Potsdam s’est faite à très vive allure et par chance aucun véhicule de la « Polizei » ne nous prend en chasse. Dans un tel cas, comme de coutume, il faudrait semer le poursuivant et l’opération serait compromise. Nous roulons maintenant vers le sud, pied au plancher Masson ne se fait pas prier. Il avoue n’avoir jamais vécu des moments pareils. La mission est donc conforme à ce que lui ont dit les anciens. Il ne sait pas encore ce qui va suivre et il aura de quoi raconter à son tour. Nous quittons bientôt la route 273 pour rejoindre une piste bétonnée longeant la voie ferrée conduisant à la gare isolée, quasiment en rase campagne. Nous roulons lentement, tous feux éteints. Restant quelques centaines de mètres à parcourir, nous stoppons pour observer. A peine sorti du véhicule, je m’apprête à observer à l’OB 42 (appareil de vision nocturne) lorsque quelque part un sifflement lointain à peine perceptible rompt le silence de la nuit. En une seconde, je réalise que nous ne sommes pas seuls et pire nous sommes encerclés. Il n’y a pas d’autre issue que celle de sortir par la gare tout en sachant que l’endroit est probablement occupé. J’ai le temps d’expliquer au conducteur que nous avons une chance de s’échapper par l’une des deux pistes d’accès, en essayant de bénéficier de l’effet de surprise, sachant que quelques secondes suffisent pour agir. Situation à laquelle nous sommes souvent confrontés. Arrivé devant la gare, devant nous soudain des silhouettes apparaissent. Surpris et par inexpérience le conducteur panique et freine. Je lui crie à l’oreille de continuer en passant sur la droite, le chemin d’accès que l’on ne voit pas encore est à quelques mètres seulement. Trop tard des soldats se mettent en travers. Il faut faire demi-tour. Nous repartons en trombe dans l’autre sens cette fois tous feux allumés. Les « sov » derrière nous poussent des cris d’alerte. Un Zil 131 arrive de face, nous évitons la collision d’extrême justesse. Cette fois Masson a eu le bon réflexe mais d’expérience je sais que nous n’irons pas loin. Si le dispositif est bien monté nous ne pouvons en réchapper de ce côté. Le camion nous prend en chasse sur la piste bétonnée que nous prenons donc en sens inverse. Soudain un peu plus loin quelque chose de familier attire mon attention. Deux jalonneurs sont dissimulés dans la végétation de chaque côté de la piste. Les réflecteurs sur leur tenue trahissent leur présence. D’instinct, je sais qu’il nous faut stopper immédiatement. Je crie Stop ! En effet, un câble tendu en travers du chemin apparait nettement dans les phares. A droite la VF, à gauche un talus, c’est fini nous sommes bloqués. Un BRDM 2 surgit devant nous et s’arrête de l’autre côté du câble. Le camion derrière freine brutalement et vient se coller au pare-choc. Des hommes surgissent de partout brandissant leurs armes. Certains essayent d’ouvrir les portières verrouillées en vain.
Selon les accords, une sorte d’immunité diplomatique est censée nous protéger, à condition de rester à bord du véhicule. Une règle peu respectée par les équipages et la suite nous en fournira une raison. En effet, après une dizaine de minutes de forte agitation autour de nous, des soldats tentent de mettre une bâche pour recouvrir la VGL. Inacceptable, d’un bond je sors. Masson verrouille aussitôt la portière et reste à bord. Surpris les soldats reculent. Saisissant la bâche je la jette au sol fermement. La réaction est immédiate, dans un claquement simultané de culasses, les AK 74 sont à nouveau pointées dans ma direction. A ce moment tout peut arriver. L’un d’eux tente de me pousser avec le canon de son arme, par réflexe j’esquive et pour ne pas manifester d’agressivité je m’adosse aussitôt à la voiture en croisant les bras. La tension est au paroxysme lorsqu’une voix ferme s’élève au dessus de moi. J’aperçois alors un gradé qui observait la scène se tenant debout sur le BRDM 2. Les soldats baissent leurs armes et se reculent. L’officier saute à terre se dirige vers moi et m’indique sur un ton péremptoire mais calme de remonter à bord de la VGL Je n’obtempère pas et il n’insiste pas. Je me sens soudain étrangement détendu. La phase critique est maintenant passée. Ce sont toujours les premières minutes où tout peut arriver. Puis de longues minutes s’écoulent avant l’arrivée d’un officier supérieur. D’un ton très posé, presque rassurant, le « Polkovnik » me pose des questions que je ne comprends évidemment pas. Je réclame un interprète. Il s’éloigne. Quelques heures se passent, la nuit est froide, les membres s’ankylosent mais il faut rester digne à défaut d’être maitre de la situation. Une étrange sensation de solitude nous gagne au milieu de ces hommes pour qui le terrain comme la caserne offrent la même vie spartiate
L’adjudant-chef Bayart en 1985
Personne ne nous prête plus guère attention quand enfin un officier de la Kommandatura accompagné d’un interprète arrive sur place. Les questions posées indiquent explicitement que nous sommes accusés d’espionnage. Je nie toutes les accusations et finalement on me propose de signer un papier reconnaissant les faits contre une libération immédiate. Après trois années à la mission je n’en suis pas à mon premier blocage et nous connaissons parfaitement les procédés utilisés. N’étant pas dupe je refuse donc de signer le papier tendu. Nous ne sommes pas dans une zone interdite, aucun risque donc de se voir déclaré PNG (personna non grata) et donc exclus de la MMFL Ils n’insistent pas mais je sais qu’ils ne renonceront pas pour autant. En effet, très rapidement les véhicules sont déplacés et le passage est libéré. Un Gaz 66 se colle derrière nous et nous suivons une Volga noire laquelle est précédée d’une voiture de la police militaire. Le cortège de véhicules traverse Potsdam et s’arrête devant la Kommandatura située au cœur de la ville. Il est 5 heures du matin, le blocage a duré toute la nuit. Le sergent Masson reste à bord de la VGL tandis que, encadré des officiers soviétiques, je pénètre rapidement à l’intérieur de l’imposant bâtiment, ancienne possession du 3éme Reich. On me conduit à l’étage et on me laisse seul dans une grande pièce, une salle de réunion à en juger la disposition. Un grand portrait de Lénine prône à côté du traditionnel drapeau rouge portant les emblèmes de la faucille et le marteau. Des rideaux de couleur kaki couvrent tout un pan de mur et j’imagine que derrière se trouve des cartes. Me sachant probablement observé, pas question de céder à la curiosité. Après de longues minutes d’attente, un aréopage d’une bonne dizaine d’officiers en uniforme pénètre dans la salle. Ils viennent s’installer autour de la grande table couvrant quasiment tout l’espace. Tenant un dossier à la main, le plus haut gradé vient s’assoir à l’extrémité sous le portrait du guide suprême. Je suis invité à m’assoir à mon tour et naturellement je me mets légèrement à l’écart. Les mêmes accusations, les mêmes questions qu’auparavant me sont alors posées, je fourni les mêmes réponses formulant les mêmes protestations, et refuse toujours de signer le papier qu’on me présente pour la énième fois. La scène me parait surréaliste. Je me demande si d’autres missionnaires m’ont précédé et comment je vais m’en sortir. Au pire le sergent est dans la voiture il pourra toujours rejoindre notre villa, le siège officiel à Potsdam et, de là, prévenir ma hiérarchie à Berlin ouest. Une idée me vient soudain à l’esprit et j’annonce mon intention de tout révéler. Dans un silence pesant toutes les têtes se tournent dans ma direction, impossible de me soustraire. J’explique alors que, passionné d’ornithologie – ce qui est bien entendu totalement faux - j’étais à la recherche d’espèces d’oiseaux rares qu’on observe particulièrement la nuit, lorsque soudainement des soldats ont fait irruption. Ces « oiseaux » là n’ont pas d’ailes et se montrent plutôt agressifs. Dans l’assistance personne ne sourit, on m’avait pourtant dit que les russes avaient le sens de l’humour. L’interprète devenu subitement hésitant semble très mal à l’aise pour terminer la traduction. Après un long silence, le chef se lève et vient à ma rencontre. Il me tend la main, un sourire crispé en coin. L’incident est clos mais il me met en garde en cas de récidive. Accompagné d’un soldat soviétique je sors de la Kommandatura. Dehors le jour se lève, nous sommes libres.
De retour à nos bureaux au quartier Napoléon, les photos révéleront que la forme de bâchage observé sur le train correspond bien au SS 21 et les missiles balistiques tactiques avaient bien débarqué de nuit en gare de Satzkorn. Le jeu en valait la chandelle !
Serge Bayart
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